Au loup ! au loup !
De tout temps le loup a été le symbole de la sauvagerie ( au sens premier du terme ) mais aussi de la virilité ; symbole de lumière également, grâce à sa vision nocturne ; chez certains peuples, il prend le rôle de héros mythique, de guerrier ancestral : ainsi, c’est un loup bleu céleste qui est à l’origine des dynasties chinoise et mongole. Gengis Khan se prévalait d’être le descendant direct de ce loup. Les Turcs l’admirent pour son ardeur au combat et sa force, au point qu’un de leurs chefs Ataturc, sera surnommé : « le loup gris ». Les Chinois et les Japonais l’invoquent en tant que protecteur contre les animaux sauvages. Dans la mythologie romaine, la louve qui nourrit Romulus et Rémus, futurs fondateurs de la ville de Rome, symbolise encore une grande force terrienne, la fécondité ; d’ailleurs, certains peuples sibériens invoquent le loup pour lutter contre la stérilité féminine. Les contes pour enfants ne manquent pas d’en appeler au Grand Méchant Loup et au petit Chaperon Rouge, façon de nous conter sa présence puissante. Chez les Amérindiens, le loup guide les âmes des morts jusqu’aux Enfers. Chez les Algonquins et les Sioux, il règne au pays des morts et on retrouve cette association avec les Enfers dans la mythologie grecque, où Hadès, Dieu des Enfers, porte un manteau en peau de loup.
Dans la religion chrétienne, le loup représente les forces diaboliques qui menacent les fidèles à l’image du loup qui menace les moutons du berger. Seuls quelques saints ont su apaiser la férocité du loup au panthéon desquels figure saint François d’Assise.
Retour du loup
Le loup réapparaît dans le parc national du Mercantour en 1992 officiellement. Le département le plus concerné par le parc est les Alpes Maritimes qui possède une tradition pastorale forte. Quatre meutes ont été identifiées dans les vallées de Vésubie-Tinée, Vésubie-Roya, Haute-Roya et Haute-Tinée, estimées à une vingtaine de loups environ. Sur le terrain, on observe une nouvelle incursion de loups en provenance du Piemont (Italie- Turin ), attirés par l’abondance des proies, chamois et bouquetins. Jusqu’à présent, ces ruminants protégés n’avaient à souffrir que des hivers rigoureux consécutifs au changement climatique qui paradoxalement amoindrit l’herbe grasse et dispense de fortes chutes de neige en hiver. L’hiver 2009 fut à ce titre exceptionnellement rigoureux, un tiers des bouquetins recensés cette année-là a péri par le froid, la neige, les avalanches et la difficulté à se nourrir au tout début du printemps. La prédation des loups fut secondaire.
Cependant, les pertes économiques engendrées par le loup sont sous-estimées aux yeux des éleveurs, le préjudice subi matériel, moral et psychologique grave car ils doivent modifier leurs méthodes de travail de la vallée à l’alpage.
Adaptation à un nouveau mode de vie
Les filets de protection électrifiés permettent de regrouper les troupeaux pour la nuit ; toutefois, ce moyen n’est pas infaillible et nécessite une surveillance quotidienne et un surcroît de travail. Les troupeaux ne sont plus lâchés en pâturages libres sur les pentes, la présence humaine est indispensable de même que celle du patou ( du mot « pasteur »). Ce chien vit, naît et meurt dans le troupeau, il s’identifie totalement aux moutons qu’il protège. L’achat de ces chiens est subventionné à hauteur de 50% , mais l’alimentation que ces colosses avalent est au frais des éleveurs. La Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt assure des contrats à durée déterminée aux bergers afin d’aider les éleveurs à accomplir les autres tâches induites par le troupeau.
On peut être amené à penser, suite à des propos échangés avec des éleveurs, qu’il existerait une opposition irréductible entre le monde de la campagne, la rudesse du milieu montagnard et le confort de la ville. En effet, il semblerait que l’on demande à l’éleveur de « garder » la montagne alors qu’en retour il est critiqué sur son activité. La montagne représenterait un milieu sauvage, vierge, intouchable pour les citadins alors que pour les éleveurs elle serait un milieu maîtrisé, domestiqué par la nécessité du quotidien. Cette opposition est le centre du débat car l’éleveur qui maîtrise son espace au prix de sa peine se dit aujourd’hui confronté à un animal non contrôlable que les défenseurs de la nature veulent protéger, sans respect pense-t-il, de l’existence ancestrale des éleveurs et de leur mode de subsistance.
En vérité, on va s’acheminer inéluctablement vers un compromis raisonnable où les uns et les autres vont devoir trouver un terrain d’entente, à savoir que les loups disposeront d’espaces géographiques certains mais aussi que les éleveurs accepteront la perte de quelques brebis en cas de débordement avec l’indemnisation qui en découle légalement. L’existence ancestrale des éleveurs doit se concilier avec l’existence séculaire et sans doute même millénaire du loup sur terre ; il y a pour sûr, une petite place pour chacun d’eux sur notre grande planète.
Céline Bart
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