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                      NUIT D'ENCRE, en barque, AU LARGE D'ALGER

 

Soudain, réveil. Je fais surface. C’est quoi tout ce boucan ?

Je suis allongé sur le dos au fond de cette grosse barcasse. Ahuri, je me redresse et prends appui sur le plat bord. Si je n’y vois goutte, mes oreilles, elles, saturent. Là, sur l’eau bouillonnante, dans cette immensité, vient sur moi distinctement la plus grande cavalerie de l’apocalypse marine. En cadence, ça piaffe, ça souffle et trépigne, ça se bouscule. Notre coque résonne comme une noix creuse ; elle encaisse bien et je suis logé comme dans un tambour. Des silhouettes, des ombres – ces quelques matelots algériens, des pêcheurs – m’enjambent et s’activent, fébriles. Je suis le seul Européen à bord. Bien sûr, alors que je dormais grassement, délicieusement bercé par la houle, la tête calée sur mon baluchon, l’équipage aurait pu me balancer par-dessus bord.

Nous sommes en avril 1962, trois mois avant l’indépendance. Tiens, justement, sur la côte, là-bas, au sud, vers Sidi Ferruch ou Staouéli, résonnent des explosions, des « stroungas » pour le dire en pataoued, ces attentats à l’explosif de l’OAS, l’organisation armée secrète qui s’oppose précisément à notre départ. En réponse, j’entends le murmure de l’équipage algérien : « Ohasse ! ».

Dans cette situation, je mesure une fois de plus la précarité de l’existence en Afrique.

Alors, pourquoi s’être fourré dans cette galère ?

 

A dire vrai, je ne suis pas là tout à fait par hasard. C’est aussi par amitié.

Depuis le référendum sur l’autodétermination, le moral des troupes est en berne. Vint le jour où quelques Français d’Algérie, échappés du siège tenu à Bab-el-Oued par les Gardes Mobiles, se regroupèrent dans une ferme du Titteri, au sud d’Alger, dans l’Atlas côtier. Prévenu, le commandement réussit à rassembler tous les moyens nécessaires pour neutraliser ces Français enragés, des moyens dont nous n’avons pas toujours disposé pour combattre les rebelles nationalistes. L’ordre fut donné d’attaquer ces opiniâtres. Je n’étais pas venu en Algérie pour combattre des Français. Aussi, en conscience, je refusai l’ordre et me retrouvai donc aux arrêts de rigueur pour un bon nombre de semaines. Mes chefs doutaient-ils de la justesse de la sanction ? Toujours est-il que, lorsque j’annonçai, laconique, qu’on pourrait toujours me joindre, dorénavant sur la plage, la sanction de la consigne réglementaire dans ma chambre ne fut même pas évoquée.

Vivant en famille avec mes deux aînés, je rejoignis la fameuse pension Mirales évoquée par Albert Camus dans son livre « Noces à Tipasa ». Des plages superbes, une cité romaine, un musée romain, un petit port de pêche adorable, le tout niché dans un paysage-écrin, il y avait là de quoi vous couper le souffle ou à mettre un porte-plumes entre les doigts d’un prix Nobel de littérature. Pour des arrêts de rigueur patriotiques, je ne pouvais pas me plaindre.

J’embarquai ma petite famille et, avant Blida, dans les gorges de la Chiffa, au passage du Ruisseau des Singes, je crus même reconnaître les faciès de quelques-uns de mes chefs parmi ces primates.

Dans la thébaïde de Tipasa les jours passaient bien agréablement : une excellente auberge, sa table, les ballades, Matarèse et ses plages, la corniche du Djebel Chenoua, les parcs Trémeau et Angelvi, les mosaïques romaines du musée, une nécropole chrétienne du IIème siècle (mazette !), les restes de la basilique Sainte Salsa, le tour des remparts, la Tombeau de la Chrétienne et le Tell majestueux, grandiose. Je grattai même avec émotion le site archéologique délaissé, à la recherche de débris de poterie, verres irisés, piécettes improbables.

Et puis la peinture, la peinture surtout. Seul le boucher du village put me procurer quelques feuilles de papier d’emballage gris-bleu sur lesquelles, après Turner, je reproduisais toutes ces merveilles et les barques pressées autour d’un énorme tombeau punique resté là, curieusement planté dans l’eau du port, ces barques que les Napolitains et Siciliens avaient apportées ici avec eux et que je retrouverai bien plus tard au musée du Castel Novo à Naples, le Vésuve remplaçant le Djebel Chenoua.

Dans mon affaire, tout part du brise-lames ; c’est là que j’apprends à mon jeune fils à taquiner le menu fretin et nous ne manquons pas de saluer les barques et équipages dans leurs va-et-vient, tous affairés en expéditions généralement stériles. En résumé, ambiance shkoumoun. Je me lie cependant avec un beau gaillard, patron de sa barque, et il m’apprend qu’il a fait son service militaire dans la « Royale ». Quant à son apparence elle ne dépareille pas avec la célèbre mosaïque des Captifs accrochée au musée local. Il comprend aussitôt que j’aime ce pays et observe que j’y vis en famille.

         

Soumis à tellement d’aléas, ces pêcheurs sont furieusement superstitieux. Serait-ce pour conjurer le sort contraire ? En tous cas, mon nouvel ami, surnommé La Gauche

, m’invite à la prochaine pêche nocturne au lamparo. Excitant, ça ! Côté poissons, j’ai encore à apprendre : à Bou Haroun, j’ai pu apprécier la capture de grosses gambas bleutées et transparentes. Et devant Aïn Taya, La Pérouse, Surcouf, j’ai plongé parmi quelques bancs de loups et sars, qui se défendaient de mes approches en m’aveuglant avec ce fameux effet flash-miroir de défense collective. Et lorsque, à grand peine, en apnée, j’atteignais les premiers rochers et cavernes sous-marines, de monstrueux mérous grossis par le dioptre de mon masque m’attendaient pour me faire les pires grimaces et me dissuader de tirer au fusil-harpon, sachant que, blessés, ils se calent au fond et vous retiennent jusqu’à la noyade. Auparavant j’avais, bien entendu, essuyé en pleine figure le jet - nuage d’encre des calamars blessés que j’avais saisis à la pointe de mon trident. Donc, que des avatars de pêche en mer à mettre à mon actif.

Mais il ne me suffit pas d’être invité à embarquer de nuit au lamparo ; je dois consulter mon épouse. Comme à l’accoutumée, elle comprend et me fait confiance, c’est du feeling. N’empêche. Je reste encore pensif en grimpant l’escalier du port, où de nouveaux

graffiti font leur apparition. Notamment ce croissant vert, bien vert, fraîchement apposé.

Et vient le moment attendu. « Larguez les amarres ! ». Alea jacta est… Le moteur tousse et crache. Ma femme assiste au départ et lance « bonne chance » à l’équipage. L’ami La Gauche 

, superstitieux, grogne que ce n’est pas l’usage, mais ma femme, partie prenante après tout, proteste de sa sincérité. Le quai s’éloigne et, lorsque nous passons le brise-lames, la mer nous saisit corps et biens. La barque commence à se déhancher et, taillant sa route, compose avec la houle un ballet bien rythmé. Ma destinée terrestre est suspendue et me voici en possession marine.

 

 

 

Au printemps, la nuit tombe assez vite. C’est le moment où le lamparo est branché sur ces batteries sulfatées et si bien serrées sous les bancs et dans les fonds. Voici qu’un homme s’avance à la proue et, à ma grande surprise, armé d’un gros maillet, entreprend de marteler régulièrement le bloc situé à l’avant de l’entrave. La barque encaisse, résonne et

La Gauche sonde du regard la profondeur marine. Il m’explique : il recherche un banc saisonnier de sardines et, sans lune et sans rivale, la lueur du lamparo devrait attirer le poisson vers la surface. Quant au martèlement, lui, il doit surprendre le poisson ; de peur, il esquive, gauchit, et le reflet des ventres révèle alors la présence du banc convoité : moments rares, donc précieux. Alors il faut agir promptement. Nous n’en sommes pas encore là. Pendant des heures, La Gauche change de secteur, toujours sans résultat. Pas encore de lassitude et, levant les yeux, je plonge tout à loisir dans cet infini firmament, celui que pour la vie je regretterai et plus jamais ne retrouverai. Je suis délicieusement bercé, mais qu’on me dise qui pourrait, dans ces conditions, résister au sommeil une nuit durant ? Et tant « la nave va », qu’à la fin je glisse délicieusement dans le fond et cherche à me caler entre les membrures, la nuque venant sur mon baluchon. Tiens, une résistance ! Zut, c’est mon pistolet automatique ; avec ce pistolet, j’ai embarqué en mauvaise conscience. La Gauche

m’a invité, et c’est armé que j’ai rejoint mes nouveaux amis. Moche ! Et pire pour un soldat de métier ; totalement inutile ce pistolet. Aucune chance de pouvoir m’en servir, ni le temps, ni la liberté.

Je me réveille bien confus alors que le travail s’achève. A l’extérieur du filet qui ceint notre barque, les dauphins tapageurs et gourmands viennent se casser le nez pour convoiter ce qui reste de sardines paniquées. D’un même effort, l’équipage hale un filet bien garni, les casiers se remplissent et le jour pointe.

Au petit matin nous accostons ; les visages sont marqués par l’effort mais les yeux brillent de contentement.

La Gauche a fait son plein de sardines. Ma femme est là. La Gauche

salue : « Bonjour ! Je te rends ton mari. Saha ! Tu as la baraka ».

Quant à moi, il m’a joliment percé. Et ma baraka c’était lui.

Pierre BALLAUD dit PILO 13/1

 

 

 

 

 

 

 

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