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ECOLOGIE 

                                                       PLANETE  TERRE           

 

   Entretien avec Pierre Rabhi

Notre destin est lié indissolublement à celui de notre planète. A travers ses actions sur le terrain et ses ouvrages, Pierre Rabhi plaide pour une indispensable réconciliation avec la terre. Entretien.

La terre, qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit ici de la glèbe qui est sous nos pieds, sur laquelle nous marchons et qui, en même temps, est un des éléments qui nous nourrit. A l’origine, la terre n’existait pas dans le processus de la Création. Elle s’est constituée sur la base de la dégradation de la roche mère, avec la complicité des autres éléments : le soleil, la chaleur, l’air, la lumière, l’eau. Ces éléments ont contribué à associer le minéral avec l’organique. Ainsi les premiers végétaux vivants ont évolué peu à peu et se sont associés pour créer ce que l’on appelle la terre arable, véritable matrice à partir de laquelle les végétaux ont proliféré. Autant les autres éléments (air, eau et feu) sont mobiles, autant l’élément « terre » est stable. Il est le lieu dans lequel se sont multipliés des végétaux immobiles afin que tout un monde mobile de créatures puisse survivre. Les hommes le parcouraient comme les autres espèces. Des cueilleurs, des chasseurs, des pêcheurs vivaient justement des biens de la terre et de l’eau et ce jusqu’à la révolution néolithique où l’homme a compris qu’il pouvait dialoguer, établir une sorte de contrat ou d’alliance avec la terre, la terre mère, pour lui confier des graines et produire sa propre nourriture. C’est la naissance de l’agriculture.

Vous parlez de contrat entre l’homme et la terre. Quels sont les principaux termes de ce contrat ?

Pour sa propre survie, l’homme a sollicité la terre pour qu’elle lui vienne en aide. Il avait besoin d’elle mais la terre n’avait pas besoin de l’homme, elle était bien avant son avènement (je n’entre pas dans ces considérations métaphysiques, me bornant à la réalité biologique). Autrement dit, le contrat est beaucoup plus avantageux pour l’être humain que pour la terre. Les archéologues qui se sont intéressés à la naissance de l’agriculture disent que la première pulsion de l’homme n’était pas seulement de produire sa nourriture, elle avait un caractère religieux, un caractère sacré. Pour l’être humain, c’était absolument magique de pouvoir semer des graines, de voir pousser, de voir proliférer puis de pouvoir engranger. La sécurité alimentaire est à l’origine de la naissance des grandes civilisations, même si elle a aussi induit des drames et des conflits. Rien n’est parfait…

Comment l’apparition des grands courants religieux a-t-elle influé sur ce contrat déjà bien à l’avantage de l’homme ?

Au risque de choquer, je dirai que les grandes religions – à l’exception peut-être du bouddhisme – ont aggravé le déséquilibre existant dans le contrat, et cela au désavantage de la terre. A l’origine, l’être humain était dans une attitude animiste (attribuer aux choses une âme). Les mystères et les énergies créatrices étaient reconnus en toute création et en toute créature. Les cosmogonies (qui expliquent la formation de l’Univers) peaux rouges reconnaissent par exemple que tout est issu du même souffle et que nous-mêmes, nous sommes intégrés à ce souffle. Le monothéisme (croyance en un dieu unique) a faussé la donne pour deux raisons : d’une part, je ne vois pas pourquoi Dieu ne serait que masculin, pourquoi pas féminin (la terre est une matrice) ? Par ailleurs, il a instauré le fait que notre lieu d’incarnation n’est qu’un lieu provisoire, l’objectif n’étant pas la terre mais le ciel ! La terre n’est que « vallée de larmes », lieu provisoire à partir duquel on va mériter le ciel, c’est le lieu de l’épreuve, etc. Cette attitude sacrée, dont nous n’aurions jamais dû nous départir, a été brisée.

Comment se réconcilier avec la terre ?

En la considérant comme un être vivant. Cela semble relever plus de la symbolique, de la métaphore, ou de je ne sais quelle idée un peu esthétique. Mais la terre est vraiment vivante et lorsque vous l’examinez – la science a aidé à le faire – vous vous rendez compte que c’est le siège d’une vie d’une intensité extraordinaire. C’est plein de bactéries, d’organismes de toutes sortes, de champignons, d’insectes, de vers de terre, etc. C’est une sorte d’estomac dans lequel existent une faune et une flore extrêmement actives. C’est un lieu d’une grande vitalité, d’une grande prolifération. Il élabore des substances nutritives transmises au végétal, lequel les transmet à l’animal et à l’être humain. Et c’est ainsi que la terre est le fondement, le premier élan de la vie. Sans elle, nous n’existerions pas. Bien sûr, tout ce qu’elle fait, elle le fait dans une connivence et dans une interactivité avec la lumière, la chaleur, l’eau et tous les autres éléments. Tout intervient pour qu’un certain métabolisme permette cette explosion de la vie. L’élément terre est un organisme vivant qui doit être traité en tant que tel. Et aujourd’hui, nous sommes dans l’erreur la plus totale par rapport à cela.

Pensez-vous que l’on peut se nourrir sans détruire ?

J’en suis totalement convaincu et l’ai démontré aussi bien sur notre ferme familiale qu’en Afrique où j’ai introduit l’agro-écologie qui compte de très nombreux praticiens. Sans compter tous les agriculteurs dits « bio » qui, après avoir été dénigrés, constituent aujourd’hui le recours à une alimentation de qualité. On peut parfaitement nourrir sans détruire, à la condition qu’il y ait un autre mode d’organisation. Or l’option actuelle reste favorable aux villes : il y a de plus en plus de monde dans les villes et de moins en moins dans les campagnes. D’où la nécessité d’augmenter la productivité pour nourrir ces masses laborieuses des villes avec le minimum de gens dans les campagnes et avec les engrais, les pesticides et la mécanique comme arsenal pour fournir le maximum de nourriture. Le résultat : une nourriture abondante mais insalubre, dénaturée et suspecte. On peut produire sans nuire mais dans un contexte où l’agriculture intègre beaucoup plus d’acteurs de production. Et à ce moment-là, on pourra revenir à une production de très grande qualité qui puisse répondre à des besoins d’abord locaux et régionaux. Toute une réorganisation est nécessaire pour produire en respectant le patrimoine naturel que représente la terre et qui doit être transmis vivant aux générations à venir.

L’homme est-il compatible avec la terre ?

L’homme est issu de la terre et c’est un leurre de croire qu’il peut s’en affranchir. Même un homme extrêmement puissant à la tête d’une multinationale ne peut se départir d’un fonctionnement commun à tous les autres mammifères : se nourrir. Et le leurre aujourd’hui, c’est d’avoir placé l’être humain comme prince de la réalité : ce prince s’est exclu petit à petit de cette réalité, en est devenu un tyran vaniteux et aveugle. Aujourd’hui, nous sommes dans une civilisation occidentale qui est de plus en plus « hors sol ». Il n’y a pas que les pintades ou les veaux, les êtres humains sont aussi hors sol, vivant dans un univers totalement artificiel de béton, de bitume, de plastique, etc. J’ai l’impression qu’ils sont incarcérés puisqu’ils sont déconnectés de cette réalité vivante. On dirait que le soleil se lève pour rien, que les fleurs au printemps fleurissent pour rien, parce qu’il n’y a personne pour les admirer.

Dans votre contact avec la terre, que vous a-t-elle transmis que vous avez découvert ou redécouvert ?

En premier, ce qu’elle m’a transmis de plus fondamental, c’est le mystère. Le mystère pour moi n’est pas angoissant. Au contraire, c’est ce qui élargit l’esprit vers cet infini qui est indicible. Et ce caractère indicible ne m’inquiète pas. Je me rends bien compte qu’il est lieu d’émerveillement. Deuxièmement, s’il vous est arrivé de prendre une graine au creux de votre main, dans cette seule graine vous avez de quoi nourrir l’humanité : mettez-la en terre et elle vous donnera deux cents autres graines lesquelles, mises en terre, vous donneront autant, etc. C’est absolument prodigieux et, de ce fait, la faim dans le monde est un scandale injustifiable. La terre m’a apporté un troisième élément. Par ses exigences, ses rythmes, ses cadences, elle a des lois et des règles. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu’elle est et elle a toujours contribué à la promotion de la vie, avec la mort comme complice ! La terre, ce sont les cycles, les saisons, c’est la sensibilité à ce qui se passe chaque jour, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse beau. Cela m’a reconnecté vraiment à cette réalité universelle. Quand vous avez des denrées issues d’une terre vivante que vous avez bien soignée, que vous avez nourrie correctement, elle vous le rend. Si vous transgressez, tôt ou tard vous payez. Les lois radicales de la terre sont des lois justes. Elles sont la manifestation d’un ordre universel qui est intelligence. Tout ce que vous faites à la terre, c’est à vous-mêmes que vous le faites.

Point de non-retour ou espoir d’un renouveau conscient ?

Parallèlement à une démarche de surproduction, d’élimination, de destruction, de dissipation, il y a des consciences, des esprits scientifiques, des gens qui ont examiné les faits et qui se rendent bien compte que la terre ouvre à des connaissances multiples et infinies. Et donc nous sommes en possession aujourd’hui de connaissances suffisantes pour une grande alternative qui réconcilierait à la fois la science, la technique, l’humain et la nature avec l’élément sensible, poétique, l’émerveillement, la beauté. La terre offre cela à tous les sens. J’ai totalement intégré le fait que nous puissions disparaître pour n’avoir pas compris que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi avec la vie, avec les éléments. Il faut abolir nos arrogances et méditer sur un des éléments les plus mystérieux de la vie et qui rend la terre féconde, à savoir l’humus. Celui-ci est issu de la dégradation des matières organiques. Il est ce qui relie vie et mort au nom d’un principe intangible dont nous tenons notre propre existence. Humus – humanité – humilité – humidité sont indissociables. Celui qui comprend cela comprend la terre et son magnifique magistère. De toute façon, il n’y a pas le choix. On est en fait sommé de le faire ou de disparaître. J’ai l’espoir qu’après toutes ces dérives, toutes ces erreurs cumulées, nous entrions enfin dans une nouvelle ère où l’être humain, sur les bases d’un sentiment sacré, rétablisse un nouveau pacte avec la vie, un nouveau pacte avec la terre.


Bibliographie
 :

Du Sahara aux Cévennes ou la reconquête du songe, Ed. Albin Michel
Paroles de terre (préface de Yehudi Menuhin), Ed. Albin Michel
Le recours à la Terre, Ed. Terre du Ciel

 

 

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