L’EFFORT
Nous sommes conçus pour l’effort. Cela veut dire qu’à l’évidence, selon constat facile, nous avons la capacité à produire du travail, en quantité variable, à partir de ce que nous sommes : un corps et un esprit ou, pour les esprit vétilleux, un esprit et un corps, ce qui revient au même. ( Le corps contient l’organe « cerveau » aux multiples fonctions, nommé aussi « centre décisionnel, centre coordinateur ou centre moteur » . )
L’effort nous est familier car, depuis notre plus tendre enfance, nous sommes habitués à en produire, de multiples, en tous domaines. Tant et si bien que la question que l’on se pose et que l’on s’est toujours posée n’est pas de savoir si l’on est capable de production d’efforts mais jusqu’où ne pas aller trop loin en la matière et quelle est la « soutenance » admise comme étant la norme à respecter. Bien entendu tout le monde comprend que les « normes » sont établies par le contexte social et culturel et qu’en vérité chacun est capable de plus, un plus qui se dimensionne en fonction des buts que l’on se fixe et de la rapidité avec laquelle on veut les atteindre. « Ah le joli forçat ! » Voilà une expression connue pour désigner quelqu’un qui travaille au-delà des normes en vigueur en utilisant des ressources physiques insoupçonnées qu’il est seul à mettre en œuvre parce que les connaissant et les confrontant avec acceptation. Dans « forçat » il y a « forcer » et l’on imagine que la dose de travail fournie dans ce cas va nuire à celui qui la livre, dans sa tranquillité, dans son équilibre, en ce sens qu’on le pressent trop absorbé par sa tâche pour avoir une vie suffisamment harmonieuse à l’égard de lui-même et des autres.
Il n’en reste pas moins que lorsque l’on veut atteindre des objectifs rapidement on met les bouchées doubles de sorte que le travail avance plus vite ; on se donne « les moyens de ses ambitions », bien souvent au détriment d’une qualité de vie à laquelle on accepte de renoncer pour cause d’ « urgence » mais que l’on sait pouvoir retrouver ensuite. Dans le cas d’ auteurs littéraires comme Balzac ou Proust on a affaire à des personnes s’étant investies dans l’élaboration de leur œuvre au-delà du raisonnable et cela eût pour conséquence une mort prématurée due à une maltraitance auto infligée : Balzac : abus de café , et Marcel Proust : vie recluse.
L’effort est dosable ; il est quantifiable dans une certaine mesure, dans les limites des possibilités humaines tolérables, dans les limites de l’acceptation physique et mentale de chacun. Et ces limites peuvent être reculées jusqu’à un certain point. Et c’est aussi cela qui est intéressant dans l’effort : on s’y habitue, on s’y adapte, ce qui signifie qu’il nous construit. Plus on aime l’effort plus on apprend à se connaître et donc à s’évaluer correctement. Il est très important de savoir jusqu’où on peut aller, pour ne pas douter de soi en cas de nécessité. Cela nous amène à nous sentir plus fort, plus assuré, plus stable, tout cela parce que l’on sait, parce que l’on s’est testé, on s’est mesuré à l’épreuve du travail prolongé, soutenu. Il reste entendu pour tous que l’épuisement est le signal d’alarme qui indique qu’il faut arrêter car il est synonyme de mort prochaine si l’on continue. ( Il serait idiot de se tester au-delà de toutes limites pour risquer de détériorer son corps et de mourir, et dans ce cas de ne plus pouvoir se dire : « je suis allé trop loin ». Cf : Henri Guillaumet pilote ayant participé à l’aventure de l’aéropostale au dessus de la cordillère des Andes, qui s’écrasa en altitude et qui fut contraint de revenir à pied vers la civilisation : « ce que j’ai fait , aucune bête au monde n’aurait pu le faire ! )
L’histoire fourmille de ces héros qui sont allés au-delà de leurs capacités physiques car conduits à le faire pour réaliser des exploits, « précédents » pour certains et dont l’humanité garde un souvenir impérissable. Cela illustre que nous sommes habités d’une surnature qui peut se révéler si les circonstances l’exigent et si la volonté de se dépasser est au rendez-vous. Cette surnature fait partie de nos caractéristiques d’humains, possibilités enfouies ne se manifestant que dans la mesure où elles trouvent un terrain favorable pour le faire c'est-à-dire dans la mesure où certains se prédisposent par une préparation à les accueillir, consciemment ou inconsciemment. Pour illustrer ce propos il n’est que de voir tous ces sportifs qui, sur la base de leurs capacités acquises et en amélioration, cherchent à battre des records, les leurs ou ceux des autres : et là nous sommes en droit de nous dire que cette pratique recouvre des aspects dangereux en ce sens qu’il existe quand même une limite au meilleur d’entre les meilleurs et qui ne peut être indéfiniment reculée. Cette limite atteinte exceptionnellement ne peut pas non plus être offerte à tous car celui qui l’a atteinte était en possession d’aptitudes extraordinaires . ( Ex : Hussein Bolt, immense champion de course à pied, grand aussi par la taille ce qui lui permet des enjambées plus longues. )
Oui l’effort nous construit ; oui l’effort nous grandit mais il est déraisonnable de vouloir indéfiniment se dépasser car cette quête obstinée se fait au détriment d’une approche de soi qui se veut objective et respectueuse. L’effort est dosable, ce qui le rend intéressant à pratiquer. Nous avons à le doser en fonction des situations et cela procède aussi d’une évaluation d’esprit qui peut prendre le nom de « planification dans le temps » .
Nous avons par l’esprit à doser nos efforts selon des plans qui les englobent dans une perspective où ils représentent un facteur parmi d’autres permettant la bonne exécution de l’œuvre en cours. La dose d’efforts journaliers pour un individu au sein d’une entreprise est définie par des normes sociales qui sont le résultat d’un statu quo entre partenaires n’ayant pas forcément la même vue des choses. Cette dose est donc variable : on lui reconnaît une variabilité ; cette variabilité signifie que la dite dose peut être revue à la hausse et cela signifie en clair que nous sommes estimés « pouvoir suivre ».Les travailleurs en professions libérales, les chefs d’entreprise, les entrepreneurs sont habitués à décupler le nombre de leurs heures travaillées à certains moments et ils le font bien volontiers sachant qu’il en va de la bonne marche des choses sous leur responsabilité. ( L’analogie entre le monde du sport et le monde de l’entreprise est constante et cela se retrouve en maintes expressions telles que : « on ne change pas une équipe qui gagne ; nous avons un challenge ( défi ) à relever.» On parle de compétition sur le marché du travail, de « coaching »,( supervision exercée par un spécialiste ), de « management » , ( encadrement ), etc......)
Notre dose de travail est donc possiblement variable et c’est cette variabilité qui la rend attrayante pour peu qu’on en soit la cause, ce qui veut dire qu’il est plus intéressant d’être impliqué dans la recherche des résultats et de leur augmentation que de suivre simplement des directives émanant d’ « au-dessus ». C’est la motivation qui crée l’influx, l’envie de se donner plus. L’intéressement du travailleur au plan général dont il fait partie débouche sur un surcroît d’efforts consentis de sa part . ( Avec une rétribution appropriée bien sûr ! )
Nous gagnons en performance à nous responsabiliser de notre travail. Quelque soit l’endroit où ce travail se produit nous gagnons à l’intégrer dans une perspective où il retrouve toute sa signification et toute sa valeur effective. ( Affective et humaine. ) Souhaitons alors que ces données se généralisent pour que " le bien vivre au travail " se retrouve partout comme une base élémentaire, reconnue par tous.
PATRICK JAKUBOWSKI
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