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Edgar Morin : « Chacun est une parcelle d’une aventure gigantesque commencée à la préhistoire »

 

                         REPORTERRE :  le quotidien de l’écologie

 

Edgar Morin : « Chacun est une parcelle d’une aventure gigantesque commencée à la préhistoire »

16 février 2017 / par Marie Astier (Reporterre)

 

               Inquiet de la tendance au renfermement issue d’une mondialisation incontrôlée, Edgar Morin  invite les alternatives à se fédérer. Il rappelle que l’humanité partage aujourd’hui un destin commun.

« Changeons de voie, changeons de vie »  : c’est le titre de l’appel que le philosophe et sociologue Edgar Morin vient de lancer, incitant les alternatives à se fédérer. Coordonné par les organisations Les états généraux du pouvoir citoyen, Les Jours Heureux, Utopia et le Collectif Roosevelt, il rassemble déjà une quarantaine [1] d’associations, collectifs, ou autres émanations de la société civile. A quelques mois de la présidentielle, ces organisations ont jugé que le moment était favorable à la mobilisation et à une « réappropriation citoyenne du politique ». Mais pour commencer, il fallait une vision commune. Edgar Morin, avec ses 95 ans de sagesse, fixe donc le cap, appelant notamment à l’éveil de notre conscience écologique.


Reporterre - Pourquoi avoir lancé cet appel aux initiatives, et alternatives ?

Edgar Morin - L’idée était de formuler un texte qui réponde à des aspirations très grandes et très profondes. Depuis pas mal de temps, je pensais qu’il fallait que se regroupent les initiatives citoyennes pour la solidarité, pour l’écologie, pour le mieux vivre. Elles sont multiples, mais dispersées. Pourquoi ne pas se confédérer pour créer une force qui serait à la fois infra-politique, dans le sens où elle ne se mêle pas de la politique traditionnelle, des élections, et supra-politique, dans le sens où elle donnerait des impulsions à la politique ? Elle constituerait une force sociale et humaine qui pourrait concurrencer tous les lobbys financiers et économiques qui pèsent sur les ministères et sur la vie du pays.

Vous notez ce paradoxe, dans votre Appel : « C’est au moment où l’on devrait prendre conscience solidairement de la communauté de destin de tous les Terriens que, sous l’effet de la crise planétaire et des angoisses qu’elle suscite, partout on se réfugie dans les particularismes ethniques, nationaux, religieux. » Comment l’expliquez-vous ?

 

L’aveuglement est une chose très courante dans l’histoire. La prise de conscience des grands problèmes est très difficile, surtout avec le mode de pensée que l’on enseigne à l’école et à l’université, qui consiste à séparer les disciplines et les domaines. Aujourd’hui vous avez des problèmes à la fois démographiques, politiques, psychologiques, religieux, mais vous n’avez affaire qu’à des spécialistes.

 

Par ailleurs, la mondialisation techno-économique se fait par une sorte d’homogénéisation qui est en fait une occidentalisation du monde. Une partie est acceptée par les peuples, une autre partie est refusée parce qu’ils veulent garder leur identité culturelle. Dès qu’a commencé la mondialisation en 1990, c’est-à-dire l’invasion totale de la planète par l’économie capitaliste, avec au même moment des télécommunications qui permettent à tous les points du globe de communiquer, vous avez eu la guerre de Yougoslavie, l’Union soviétique qui s’est disloquée, la Tchécoslovaquie qui s’est scindée en deux pays, l’Iran qui s’est encore plus refermé, etc. Donc la mondialisation, on croit que ça a créé des choses communes. Mais ce n’est pas parce qu’on a de la télécommunication qu’il y a de la compréhension. On se comprend de moins en moins.

On a aussi cru pendant très longtemps que l’histoire devait progresser, et on s’est rendu compte que l’avenir n’était pas radieux mais fait d’incertitude. Cela a de plus en plus marqué notre époque. Or l’incertitude provoque l’angoisse. Et l’angoisse provoque la peur, le repli sur soi. Quand on n’a plus confiance dans le futur humain, on se réfugie dans le passé religieux et les croyances anciennes. Ce qui arrive est profondément lié à la mondialisation.

Avez-vous observé une progression de la conscience écologique, depuis que vous avez commencé à vous intéresser à ces questions à la fin des années 60 ?

Elle s’est montrée très partielle et très lente. En dépit des catastrophes comme Tchernobyl, de tout ce que l’on sait de l’agriculture industrialisée, de la dégradation générale de la biosphère, je pense qu’il faudra de nouvelles catastrophes pour que cette conscience s’amplifie. Et même quand on a pris conscience du réchauffement climatique, on s’est fixé dessus et on a oublié les autres problèmes, au moins aussi importants. C’est une conscience très difficile à faire entrer dans les esprits occidentaux parce que toute leur culture les a formés à séparer l’humain du naturel. Cela a commencé par la Bible qui fait que Dieu crée l’homme à son image, séparé des animaux. Puis Saint Paul, qui fonde le christianisme, dit que les humains ont droit à la résurrection mais pas les animaux. Avec le développement de notre civilisation occidentale, Descartes dit que les animaux sont des machines et que la mission de l’homme est de dominer la nature. En dépit des écrivains comme Jean-Jacques Rousseau, ou des poètes romantiques, ce qui a dominé la civilisation c’est la prédation. On s’empare de la nature, des colonies, etc. Alors que les descendants des antiques civilisations andines savent que la Pachamama est la terre mère, et sentent qu’ils font partie de cet ensemble. Il faut voir que nous dépendons de cette nature et qu’elle dépend de nous.

La conscience écologique est inséparable d’une conscience planétaire : c’est-à-dire concevoir que tous les humains vivent un destin commun sur la planète à cause de la mondialisation, qu’ils sont inter-solidaires, et qu’on fait face aux mêmes périls : l’hégémonie de la finance, le déséquilibre économique, la dégradation de la biosphère, les conflits et les fanatismes de toute sorte. Mais au lieu de prendre conscience de cela, on se recroqueville sur l’identité nationale, religieuse, etc. La conscience progresse, mais l’inconscience progresse encore plus vite.

 

Face à cela, vous souhaitez le développement d’un « humanisme approfondi et régénéré ». Qu’est ce que cela signifie ?

Un humanisme régénéré, cela veut dire revenir à ce qui avait été son fondement : tous les êtres humains, quelle que soit leur origine, leur sexe, ont les mêmes droits et doivent être reconnus comme des êtres humains à part entière. C’est le premier principe. Le deuxième principe, c’est de comprendre que tous les êtres humains sont des enfants de la Terre. Ils sont issus d’une évolution biologique, ils ont une même racine, ont une communauté d’identité et sont d’origine terrestre. Le troisième élément, c’est la communauté de destin terrestre, qui est née de la mondialisation. Aujourd’hui, on est tous embarqués dans la même aventure. Enfin, si on réfléchit un peu, chacun est une parcelle d’une aventure gigantesque qui a commencé à la préhistoire. Ce sentiment que nous sommes maintenant à un moment de l’aventure commune de l’espèce humaine, c’est le dernier élément de l’humanisme régénéré.

 


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[1] Parmi ces organisations : Le pacte civique, Osons demain, Colibris, Pas sans nous, Négawatt, Les convivialistes,Dialogues en humanité, l’association des Paralysés de France, laprimaire.org, La belle démocratie, Le labo de ESS, La fondation Léopold Mayer, Urgence démocratique, L’Age de faire, Stade citoyen, nuitdeboutparis, villes en transition, Terre solidaire…


Source : Marie Astier pour Reporterre

Photos : © Eric Coquelin/Reporterre


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