Légende ou réalité ?
La Kahina, princesse berbère …..
A la fin du VIIème siècle, l’Afrique du Nord voit s’affronter trois forces :
* les Byzantins, solidement implantés sur les côtes, avec Carthage comme point d’appui et Septem (Ceuta) plus à l’ouest.
* les Arabes, qui arrivent de l’est et tentent de pénétrer en Ifriqkya (actuelle Tunisie) et, de là, dans tout le Maghreb (Occident).
* les Berbères, habitants des lieux depuis les temps les plus reculés ; ils forment un groupe ethnique homogène mais divisé selon qu’ils sont nomades ou sédentaires, agriculteurs ou citadins et commerçants, chrétiens ou juifs ; en effet, quatre siècles avant J.C, ce sont plus de 100 000 hébreux qui, sous le règne de Ptolémée Soler, roi d’Egypte, finissent par se fixer dans les Aurès, suite à des persécutions. Les Berbères se distinguent par trois particularités majeures :
D’abord, leur langue. Selon les Arabes envahisseurs, elle était inintelligible !( la réciproque put être ressentie aussi !) ; lorsque « Ifriqos » roi du Yemen, aborda l’Afrique du Nord, il s’exclama en les entendant parler : « barbaria ! » ( quelle confusion !), d’où le nom de « Berbères » qui leur est resté.
Ensuite, leurs religions, car ils les ont toutes embrassées : les idoles païennes, puis les religions juive, chrétienne et musulmane.
Enfin, leur caractère. Ils sont souples et capables d’une prodigieuse adaptation. Ils sont braves, courageux, belliqueux mais peuvent manquer d’unité et rester divisés en clans.
Ce peuple s’enorgueillit de compter d’illustres personnages tels que Massinissa, allié de Scipion l’Africain, Jugurtha, son neveu, en rébellion contre Rome (3ème siècle av. J.C ), Juba II, et Saint Augustin, né à Souk-Ahras, d’un père berbère et d’une mère chrétienne, qui trouva la foi à Milan, devint évêque d’Hippone ( Bône) et légua ses « Confessions » et « la Cité de Dieu » à toute la chrétienté.( IVème et Vème siècles av. J.C).
La Kahina, naît dans une tribu berbère juive des Djeroua, dont le chef, Tabet, n’est rien moins que son père ; Zouma, sa mère, est mozabite ( habitante du « Mzab », territoire qui groupe des oasis au nord du Sahara algérien). A 10 ans, la Kahina, prénommée Dahia à sa naissance, est en réalité un garçon manqué. Cheveux roux, yeux bleus comme et encore certains kabyles aujourd’hui, elle monte à cheval et nourrit une grande tendresse à l’égard des animaux. On dit qu’elle murmure à l’oreille de son cheval et formule de nombreux présages qui la feront appeler « la Kahina » (devineresse).
En 680, la Kahina, a vingt ans. Elle est belle comme on l’est à cet âge, et aussi rebelle car, ne l’oublions pas, c’est une Djeroua, une nomade qui « court toujours », une amazone en quelque sorte qui vit sur son cheval. C’est également une « Azria » une de ces femmes libres de l’Aurès, sans voiles, sans mari ( d’ailleurs elle a un enfant ) ; veuves ou divorcées, telles étaient ces femmes libres, la polygamie ni le voile n’existait dans les Aurès où le divorce était fréquent.
En ces temps-là, les Arabes se sont répandus sur toutes les rives de la Méditerranée prêchant inévitablement la guerre sainte.
En 683, à la suite du guet-apens de Tehouda, les Arabes sont écrasés et l’Emir Okba, investi par le calife de Bagdad, succombe. La veille du combat, la Kahina a vu en songe son père assassiné.
Il est effectivement abattu et demande à sa fille de le venger ; il est temps pour elle de jouer son rôle. Elle est mariée à Moudeh, un véritable tyran ; haï par le peuple, il est éliminé ; La Kahina est proclamée Reine de la Numidie.
Cinq années plus tard, un nouveau calife Abd-el-Malek qui règne sur Bagdad, investit un nouvel émir, Hassan, pour la conquête de l’Ifriqkya.
Il prêche la guerre sainte, à nouveau !
-« Quel est le plus puissant roi berbère ? » demande-t-il ?
-« C’est une femme, la Kahina, dans l’Aurès » s’entend-il répondre….
Au printemps 696, Hassan repart en campagne ; il prend Carthage, la perd, la reprend par la mer.
Il fonce alors sur l’Aurès et s’enfonce bientôt sans méfiance dans la vallée de la Meskiana ; elle semble déserte ; la Kahina a caché son armée pour une part dans la montagne, pour une autre part dans ses troupeaux de chameaux. Les Arabes sont anéantis par une pluie de flèches. Les Azrias, femmes juives libres, participent au combat. Les Arabes sont écrasés, les Aurésiens les poursuivent jusqu’à Gabès, en bord de mer, selon les historiens. On appellera cet épisode « la bataille des chameaux ». La Kahina a trente cinq ans, elle est encore jeune et belle ! La voici reine de l’Ifriqya et de la Numidie, de Gabès à Laghouat, comme Massinissa onze siècles plus tôt. Mais elle pressent qu’elle n’a plus « la baraka ». Les Arabes semblent préparer une nouvelle expédition et elle décide d’avoir recours à la politique de la terre brûlée ; ses guerriers mêmes trouvent que c’est folie !
L’émir Hassan se lance à sa poursuite et l’atteint du côté des Nementcha, au sud-est des Aurès. Selon la légende, il la surprend auprès d’un puits. Il brandit son sabre et la tête de la rebelle roule bientôt à terre comme elle l’avait vu en songe. On montre encore, à une centaine de kilomètres au sud-est de l’Aurès, ce puits romain, « Bir-el Kahéna »
Alors ? Qu’y-a-t’il derrière la légende ? Sans doute, une héroïne qui a frappé l’imagination des peuples de son temps et qui nous enchante aussi. La fin dramatique et cruelle dans la note de la « guerre sainte arabe » lui confère un romantisme nostalgique. Mais, et avant tout, la Kahina est le symbole de la résistance berbère à l’envahisseur arabe ! Les Etats modernes semblent avoir méconnu l’exemple de Rome : les Romains n’ont-ils pas occupé le Maghreb pendant près d’un millénaire, démontrant qu’on pouvait gouverner le pays avec 100 000 soldats ou colons pour un territoire qui comptait alors 3 à 6 millions d’habitants, à condition d’intégrer les Berbères dans l’administration de leurs cités ?- ce qu’ils avaient fait avec grande sagesse ! -
Jacqueline Bold